LE 22 novembre 1963, lorsque le vice-président Lyndon Johnson prêta serment à Dallas dans l’avion de Kennedy assassiné, et devint président des États-Unis, il connaissait l’existence de l’îlot 307 et de sa garde perpétuelle. Il croyait lui aussi qu’il s’agissait d’un secret d’état-major. Kennedy n’eut pas le temps de le détromper et de lui passer le fardeau de la vérité.
Le lendemain de son installation, le chef du service secret de la Maison-Blanche dévoila à Johnson l’emplacement d’un coffre installé d’une façon insoupçonnable dans le bureau du président. Le policier n’en connaissait pas la combinaison. Celle-ci, pensait-il, lui serait dévoilée par quelqu’un qui ne saurait pas de quoi il s’agissait. En fait, dans la semaine qui suivit, deux généraux, deux sénateurs, et le président de la Cour Suprême, lui apportèrent chacun une enveloppe, qu’ils avaient reçue de Kennedy, avec la mission confidentielle, s’il mourait de façon subite avant la fin de son mandat, de la remettre à son successeur. Chacun de ces personnages ignorait la démarche des autres.
Lyndon Johnson se trouva, après avoir ouvert les enveloppes, devant cinq groupes de deux lettres, accompagnés de numéros d’ordre qui lui permirent de reconstituer la combinaison du coffre. Il l’ouvrit et y trouva un cahier empli de chiffres tracés de la main de Kennedy. Il connaissait bien son écriture. Quelques lignes sur la première page précisaient que le code de ce message lui serait remis, sous la forme d’un livre inattendu, par une femme qui ne signerait que de son prénom.
Parmi les messages de condoléances et de vœux qu’il reçut des chefs d’État, celui que lui remit l’ambassadeur de Grande-Bretagne de la part de sa souveraine était signé de son nom de reine, Elisabeth, et accompagné d’une Bible catholique. Le président Johnson ne comprit pas tout de suite. Quand il y pensa, cela lui parut stupéfiant. Il essaya. La Bible était bien la clef.
Le message du coffre était composé de groupes de trois nombres. Le premier désignait la page, le second le rang de la ligne à partir du haut, le troisième le rang du mot dans la ligne. C’était le plus classique et le plus simple des codes, et aussi le plus difficile à déchiffrer. Il fallait savoir quel livre était la clef, et pouvoir en disposer. De cette édition de la Bible catholique en langue anglaise, imprimée en Espagne au XVIIIème siècle, il ne restait qu’une dizaine d’exemplaires dans le monde. Kennedy, bien entendu, en avait possédé un. Sa veuve l’avait emporté, avec tous ses objets personnels.
Soir après soir, le président Johnson déchiffra le message. Il était relativement court, mais chercher les mots l’un après l’autre dans l’océan d’un livre est un long travail. Et il avait bien d’autres choses à faire. Quand il comprit enfin de quoi il s’agissait, il passa une nuit blanche, et arriva au bout. Ce fut de ce jour qu’il perdit son optimisme un peu simple. Le problème l’angoissait, le poursuivait nuit et jour dans ses pensées et tous ses autres problèmes. Lorsqu’il renonça à se représenter à la Présidence, ce ne fut pas à cause du Viêtnam, mais parce qu’il ne se sentait plus capable de porter la responsabilité du plus grand péril et du plus grand espoir du monde.
L’îlot 307 était cet objectif vers lequel demeuraient pointées en permanence deux fusées atomiques américaines et deux russes. Et une chinoise.